samedi 18 février 2012

Lui

Je voulais écrire aujourd'hui un post sur Orphée et Eurydice, l'opéra dansé auquel j'ai assisté mardi soir à Garnier. Mais ce sera pour la prochaine fois.
Ce qui me tient à coeur à ce moment précis, en ces instants où, depuis quelques mois, je pratique une politique de terre brûlée dans ma vie, c'est de parler de lui, celui qui m'aide encore malgré son absence à tenir debout et à avancer.
Plus de cinq ans déjà que j'arrive à vivre sans lui, cinq ans qui m'ont paru à la fois si courts et si longs, cinq ans à errer, à chercher, à cogner dans des murs parce qu'il n'est plus là pour me guider comme il l'avait fait depuis le début de ma vie. Je suis lucide, j'ai aussi fait des erreurs quand il était là, je me suis souvent trompée de route. Mais j'avais évité les vrais dérapages. Aujourd'hui, je ne sais plus.
Tout ce que je sais, tout ce que je suis, c'est lui qui me l'appris. Je ne parle pas de ces connaissances accumulées au fil des années, trop, mal, sans discernement. Je parle de la manière d'appréhender cette absurdité qu'on appelle la vie, je parle de la famille et de la prison qu'elle représente mais qu'il m'appris à respecter et à protéger plus que tout, je parle de cette curiosité intellectuelle qui me pousse à toujours vouloir apprendre, découvrir, comprendre, je parle de ce respect des autres, de cette envie de traverser la vie sans déranger, je parle de cette honnêteté qui m'a si souvent poussée à des excès que lui, savait éviter.
Un jour il m'a fait lire un texte. Il y était question d'un grand père qui parlait à sa petite fille de ce vingtième siècle qu'il avait traversé, de tous les boulversements de cette période où tout devait aller toujours plus vite et auquel il avait du s'adapter. Cette lettre, il aurait pu l'écrire, il aurait pu nous dire comme ça avait été compliqué pour lui de traverser sa vie, d'affronter les changements, les évolutions, de mener le bateau de cette famille de six personnes, sans qu'au final, on sache vraiment qui il était, ce qu'il avait vécu dans son enfance ou comment il avait su à chaque instant ce qu'il devait faire.
Je sais que je n'ai été qu'une de ces quatre enfants, je sais qu'il nous aimait tous à sa façon sans jamais nous le dire, mais les images qui me restent de lui sont à moi et seulement à moi, parce que, même si c'était la même personne, nous avons tous eu un père différent.
En écrivant ces mots, je repense à l'enfance, à ces soirs où je fonçais dans le chemin derrière la maison en entendant la voiture, pour le retrouver un peu plus tôt et peut-être l'avoir juste pour moi pendant quelques instants.
Je revois l'adolescence difficile, où il me demandait de me taire parce que je le soulais de paroles, je revois le soir où il m'a frappée, pour une provocation de trop à table, pour une réponse, une révolte de trop qui avait fait déborder le vase d'une situation familiale alors déjà tendue.
Je revois mes premiers boulots d'été dans son bureau, les trajets quotidiens avec lui durant lesquels il me faisait conduire pour m'apprendre, ses paroles après une altercation pénible avec ma mère et ma grand mère, je revois ces lundis matins où nous roulions plus vite que le train pour le rattraper à la gare suivante parce que je m'étais réveillée trop tard.
Les images sont toujours présentes, même les plus lointaines et il ne faut que peu de choses pour tout faire rejaillir.
Et puis, les souvenirs plus difficiles, plus compliqués, plus lourds. Ceux où l'on commence à en vouloir aux autres, parce qu'on voudrait qu'ils prennent le relais parfois. Un jour, j'arriverai peut-être à mettre tout ça en mots, mais pour l'instant, je ne peux encore le mettre qu'en larmes.
Et puis, il y a l'absence, il y a cette infernale absence. Cette mémoire que l'on veut garder, tous ces moments où l'on essaie d'être à la hauteur, d'être comme il aurait voulu, tous ces moments où l'on échoue lamentablement et où l'on se sent plus bas que terre. J'ai échoué partout : avec mes frères et soeur, avec mes amis, dans mon travail et aujourd'hui, j'arrive même à douter de l'éducation que je donne à ma fille.
Alors voilà, aujourd'hui j'avais envie de parler de lui, de nous, parce qu'au milieu de ce marasme, il faut que je me souvienne d'où je viens et que j'arrive à retrouver à travers lui l'envie de continuer.