mercredi 7 mars 2007

Môssieur Teulé

Depuis tout à l'heure, j'essaie de trouver une photo de lui qui soit fidèle à mon souvenir. Un petit rayon de soleil de la fin de mon adolescence.
C'est la mort qui m'a ramenée vers lui, au moment où il publie "Le magasin des suicides". Celle de mon père et celle de Bernard Rap. Lui qui symbolise pour moi, l'humour, le pétillant, l'ouverture aux autres, l'empathie.
J'avais vingt ans et je regardais l'Assiette Anglaise avec mon père. Un moment inratable de la semaine. L'ambiance cosy très british, très Rap. Les chroniqueurs dont Bertrand Renard, l'idole de ma mère et de ma grand mère, indétronables fans des Chiffres et des Lettres.
Moi, celui que j'attendais, c'était Teulé. Jean Teulé : avec sa tête d'ange aux cheveux blonds de bébé, ses yeux bleus toujours rieurs et toujours avides de faire partager ses rencontres.
Alors quand il avait sorti "Rainbow pour Rimbaud", j'ai été une de ses premières lectrices, et j'ai adoré... son côté décalé, c'était un régal... Avec Cécile, on a usé le livre à force d'échanger nos impressions dessus.
Et puis il y a eu Darling. Difficile Darling. Je l'ai lu, mal. J'ai vu Teulé sur la couverture, je me suis jeté dedans. A un mauvais moment, à un mauvais endroit. Darling n'est pas un livre d'été à dévorer au bord d'une plage. Il m'a laissé nauséeuse et mal à l'aise. Je ne savais pas le pourquoi du comment de ce livre. Jean Teulé avait disparu de la lucarne magique ou bien c'est moi qui la fréquentait moins, et ce livre m'a dérangée. Parfois, au fil des années, je l'ai repris, relu, toujours ce même malaise. Alors, j'ai occulté Jean Teulé. Jusqu'à Villon.
Je ne crois pas au hasard, tout a une signification. Le jour où j'ai vu ce livre pour la première fois dans la vitrine d'un libraire à Paris, est aussi le jour où j'ai appris la disparition de Bernard Rap.
Et l'ange Teulé est revenu dans ma mémoire. J'ai découvert qu'entre temps, il y avait eu un Verlaine, alors j'ai remonté le temps et j'ai commencé par celui-ci.
Du Verlaine, je ne sais comment parler. J'y ai retrouvé le génie de Teulé, le bonheur de se laisser embarquer par lui dans le Paris du poète maudit... dont ce magnifique XIVème qui me tient tellement à coeur. J'ai adoré ce livre. Seul un tout petit fragment de moi a continué à vivre dans le réel, le reste était au chevet du poète avec son jeune adorateur assassin.
Et puis, il y a eu Villon. Terrible Villon. J'ai mis plusieurs jours après l'avoir terminé à sortir de ce cauchemar, de ces cachots, de ces corps mutilés, écartelés. Encore une fois, je n'étais plus là.
Alors, merci Monsieur Teulé, merci encore.
Même si je veux vous garder dans ma mémoire avec l'image du jeune troublion de l'Assiette Anglaise, même si je refuse que vos traits aient peu à peu vieillis, et votre regard perdu de sa malice, je vous aime Monsieur Teulé, comme on aime un magicien des mots qui a réinventé la machine à remonter le temps.

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